Joseph Jean François Renaux, qui se fera appeler Henri par ses proches, est né le 29 octobre 1865 à Auxonne.

Nota: Tous les documents officiels et professionnels seront signés Joseph Renaux. Cependant, le prénom d’usage utilisé, notamment dans sa vie personnelle est Henri. C’est ce prénom qu’utilise son épouse et sa famille. Sa petite-fille, Michèle, se souvenait de son grand-père comme étant prénommé Henri et n’aimant pas le prénom de Joseph. Nous ne connaissons ni l’origine ni le pourquoi ni les circonstances de ce changement de prénom.

Sa mère, Marie Perrin, descend du côté Perrin, notamment, de longues lignées de maîtres maçons du Dauphiné.

Son père, Jean François Renaux, vient d’une famille Vosgienne, mais la famille Renaux, initialement Regnault, était originellement de Fresnes en Bourgogne, rejoignant les Vosges au début du 18ème siècle. Faisant suite à des ancêtres impliqués dans la production et le commerce de toiles, laine et habits, Jean-François est maître tailleur militaire et médaillé militaire.

A la naissance de Joseph, son père, alors maître tailleur au quarantième régiment d’infanterie de ligne à Orléans est absent. Il est probable que Marie séjournait alors, pour la naissance, chez ses parents. C’est donc son grand-père maternel, Joseph Etienne Perrin, aubergiste, qui le déclare, et c’est d’ailleurs chez lui qu’est né Joseph.

Joseph – « Henri » – est le deuxième d’une famille de quatre enfants. Marie, sa soeur aînée a deux ans à sa naissance. Edouard, son premier frère nait lorsqu’il a trois ans. Etienne, le petit dernier nait alors que Joseph a dix ans. La fratrie s’entend très bien et les contacts perdureront et continueront à travers leurs enfants et petits enfants. Ce n’est qu’à partir des arrière-petits enfants que les familles de cousins se perdront de vue, à partir des années 1980s.

Marie étant née à Toulouse et ses deux frères n’étant pas nés à Auxonne, on peut supposer que Joseph – « Henri » – passe son enfance dans les différentes villes de garnison où séjourne la famille. A la retraite de Jean-François, la famille s’installe à Auxonne.

Normalien

Très intelligent, Joseph – « Henri » – est reçu au concours de l’Ecole Normale Supérieure (de Paris), promotion 1884, soit à 19 ans. Il avait aussi été reçu à l’école Polytechnique mais refuse pour Normal Sup, par conviction (Souvenirs de sa petite-fille Michèle).

1884: Ecole normale supérieure. Promotion de 1884 – Sciences / Pierre Petit, phot. – [Paris] – Bibliothèques de l’École normale supérieure – Images. Légende ms. : « Renaux, Bouvet, Fesquet, Carré, Génin (démissionnaire 1886), Rivals, Chudeau, Lefèvre, Dereims, Grévy, Vessiot, Houpin, Bieules, de Tannenberg, Lemoine, Constantin, Hadamard, Richard, Oudot, Chassagny ».

Alors qu’il étudie à Paris, son père décède à Auxonne le 15 avril 1886.

Joseph – « Henri » – n’en continue pas moins ses études. Le mathématicien Painlevé, de la promotion précédente devient un de ses amis (Souvenirs de Michèle).

Joseph – « Henri » – obtient également l’agrégation de mathématiques en 1887, à 22 ans (Philippe Véron, Dictionnaire des astronomes français 1850-1950, lettres « Q-R », Observatoire de Haute-Provence, publié inachevé à titre posthume, 2016).

1886-1887: Ecole normale supérieure. Promotion de 1884. Sciences : cubes / Pierre Petit, phot. – [Paris]Bibliothèques de l’École normale supérieure – Images. Légende ms. : « de Tannenberg, Vessiot, Fesquet, Renaux, Houpin, Bouvet, Dereims, Grévy, Lefèvre J., Bieules, Rivals, Bonnel (? ou Roussel ? [non répertorié dans le Supplément historique]), Chassagny, Hadamard, Lemoine. Manquent Carré, Oudot, Richard, Chudeau, Constantin [et U. Génin] ».

A sa sortie de Normal Sup, comme cela était alors l’usage, Joseph – « Henri » – est nommé, à titre provisoire, comme professeur de mathématiques au Lycée de Cahors, le 6 septembre 1887. Mais il n’a aucune envie de devenir professeur de maths. Ce qu’il veut c’est être astronome.

Il commence à enseigner à Cahors le 3 octobre. Heureusement, dès le 22 octobre 1887, il est délégué dans les fonctions d’aide-astronome à l’observatoire d’Alger. Il continuera à enseigner jusqu’au 26 novembre 1887, date à laquelle ses fonctions au lycée de Cahors prennent fin.

Jeune astronome à l’observatoire d’Alger et amoureux

Joseph – « Henri » – part pour Alger et rejoint l’observatoire, alors sous la direction de Charles Trépied, poste que ce dernier assure depuis 1880 (Véron, Dictionnaire.., « Les observatoires français 1850-1950« ). Le personnel de l’observatoire se compose alors, outre du directeur, de Vincent Charlemagne Rambaud, aide-astronome depuis 1885 et auparavant calculateur depuis 1880, « sans grade universitaire mais « très intelligent » et « laborieux, assidu et rendant de grands services » et de Frédérique Sy, nommé aide-astronome le 12 mai 1887 et qui sera licencié es mathématiques en 1902 (ibid.).

Joseph – « Henri » – s’intègre donc à une petite équipe, dans un observatoire réorganisé en 1881 par Trépied, en plein essor, et nouvellement transféré à la Bouzarea, au dessus d’Alger, la construction du bâtiment ayant débutée en 1884 pour être totalement achevée en 1890. C’est une aventure excitante et où tout est à faire et à découvrir.

En 1889, l’équipe publie « Mémoires et observations. Observations des comètes Barnard (sept. 2 et oct. 30), faites à l’observatoire d’Alger » (Bulletin Astronomique, Série I, vol. 6, pp.345-347). En 1890, Charles Trépied et Joseph – « Henri » – publient « Mémoires et observations. Observations de planètes et de la comète Brooks (1890, mars 19), faites à l’observatoire d’Alger » (Bulletin Astronomique, Série I, vol. 7, pp.377-378: une erreur de référence dans la base de donnée de Harvard mentionne A. comme initiale pour Renaux, alors que le texte original mentionne MM. Trépied et Renaux: il s’agit bien évidemment de Joseph).

A partir de 1891, Joseph – « Henri » – se voit confier la responsabilité du service photographique de l’observatoire.

En juillet, il se rend à Auxonne pour être le témoin de sa soeur Marie, lors de son mariage avec Charles Auguste Lapp, le 8 de ce mois.

C’est probablement aussi en 1891 que, chez des amis communs, Joseph – « Henri » – rencontre la jeune et très jolie Renée Paulet, héritière de la famille Roure-Aguillon (Renée n’ayant que quinze ans à leur rencontre, cette dernière a lieu probablement en 1891 – souvenirs de Michèle). Les deux jeunes gens s’éprennent l’un de l’autre.

Le 15 avril 1891, la famille Roure-Aguillon-Paulet, composée de Renée, de sa mère Aimée Roure veuve Paulet, et de sa grand-mère, Reine Aguillon veuve Roure, a acheté la propriété Les Bois, à Bouzarea, à quelques kilomètres de l’observatoire. La famille s’y installe.

La cour que Joseph – « Henri » – fait à Renée n’en est que facilitée, et on imagine Joseph – « Henri » – allant aussi souvent que possible voir celle dont il est tombé amoureux.

Malgré son jeune âge, puisqu’elle n’a que quinze ans, Renée n’a de cesse que sa mère et sa grand-mère l’autorisent à épouser Joseph – « Henri », qui a alors vingt-cinq ans.

Signatures des mariés, de la famille et des témoins au mariage de Joseph renaux et Renée Paulet le 24 septembre 1892

La détermination de Renée prévaut. Renée, qui a maintenant 16 ans et Joseph – « Henri », qui en a vingt-six, se marient le 24 septembre 1892 à Bouzarea.

Sur leur alliance, c’est le prénom d’Henri que Joseph -« Henri » – choisit de faire graver.

Vincent Charlemagne Rambaud, collègue de l’observatoire, sera témoin pour Joseph – « Henri », ainsi qu’André Puzin, professeur au lycée d’Alger. Joseph – « Henri » – sera, à son tour, témoin au mariage de Vincent Rambaud le 31 octobre 1892, ce qui montre l’amitié qui lie les deux hommes. On ne sait si quelqu’un de la famille de Joseph est venu au mariage, puisque ce sont des amis qui sont témoins.

Monsieur Léon Thivin, Empa, qui sera calculateur à l’observatoire d’Alger, est un des témoins de Renée, avec Charles Collette.

Renée Paulet épouse Renaux le 8 mai 1894 – Photo envoyée par Joseph Renaux à sa mère, Marie Perrin épouse Renaux

Le jeune couple s’installe dans la propriété Roure-Aguillon où Joseph habitera sa vie durant.

Professionnellement, Joseph est également heureux. A l’observatoire, il est « délégué dans les fonctions d’astronome adjoint le 13 mai 1893 (Philippe Véron, Dictionnaire des Astronomes Français 1850-1950, pp. 394-395), à 26 ans.

L’année suivante, Henri devient père: le 27 janvier 1894, nait Suzanne Reine Renaux, fille unique du jeune couple.

Quelques mois plus tard, le 8 mai 1894, Henri envoie à sa mère une photo de sa jeune épouse, alors âgée de 18 ans (on voit bien que l’initiale utilisée est un H. et non un J.)

Le 11 novembre 1896, la mère de Joseph, Marie, décède à Auxonne alors qu’elle n’a que cinquante-trois ans. Marie devait être malade et Joseph – « Henri » – avait fait le voyage jusqu’à Auxonne pour être auprès d’elle. Il déclare le décès avec son beau-frère Charles Lapp.

Tout au long de ces années, Joseph – « Henri » – est visiblement pris par les calculs et ses responsabilités au sein du service photographique de l’observatoire. Par exemple, le Journal of the British Astronomical Association, vol. 3, d’avril 1893, p. 351, mentionne les 32 photographies de l’éclipse solaire du 16 avril 1893 réalisées par Charles Trépied et Joseph Renaux. Le calcul ainsi que les photographies astronomiques sont alors très différents de ce qu’ils peuvent être aujourd’hui, et le rapport écrit par Joseph – « Henri » – à l’occasion de l’éclipse solaire de 1905 (voir ci-dessous) est un témoignage de ce qu’était le travail des astronomes d’alors. La publication de Joseph – « Henri » – et de ses collègues co-auteurs, le 11 juin 1898 des observations relatives à la comète Coddington est un exemple des contributions des astronomes au calcul et à la position des objets célestes, comme beaucoup d’autres des articles publiés à l’époque.

Les travaux de Joseph – « Henri » – servent également aux autres astronomes. Dans l’Astronomische Nachrichten, volume 148, Issue 14, pp.214 et 216, c’est lui qui calcule les positions moyennes des étoiles de comparaison en January 1899, pour un article de Rambaud et Sy. Comme autre exemple, E.-C. Gaultier publie un Catalogue Annuel des Grandeurs Photographiques de 300 Étoiles des Pleiades dans le Bulletin de la Societe Astronomique de France et Revue Mensuelle d’Astronomie, de Meteorologie et de Physique du Globe, vol. 14, pp.441-454
en 1900 et y remercie « Monsieur Renaux » pour les clichés qui lui ont permis de faire ce travail.

Néanmoins, le nombre de publications scientifiques de Joseph – « Henri » – pendant cette période est relativement « faible ».

En 1905, alors qu’il a quarante ans, il participe « sous la direction de Trépied, à l’expédition organisée à Guelma pour observer l’éclipse de Soleil du 30 août 1905. » (Véron, Dictionnaire …, pp. 394-395), dont il fera et publiera le compte-rendu après le décès de son directeur (« Observations de l’éclipse de Soleil du 30 août 1905. Rapport de la Mission d’Alger« , conservé dans Annales du Bureau des Longitudes, Gauthier-Villars, Paris, vol. 8, pp.C1-C37.8, 1911).

Dans son observation de la couronne solaire pendant l’éclipse, Joseph note:

En définitive la photographie a enregistré un phénomène dont l’explication est encore à trouver. J’avais supposé qu’il dépendait de l’action de la lumière à travers une couronne de cristaux de glace produits par le refroidissement des couches supérieures de l’atmosphère. L’hypothèse est assez plausible. Mais l’agrandissement me donne l’impression d’une violente projection de matières incandescentes retombant ensuite sur le soleil sous form d’anneaux elliptiques. Si invraisemblable que puisse paraître cette nouvelle hypothèse, je pense qu’il y avait lieu de la signaler…

J. Renaux, « Observations de l’éclipse de Soleil du 30 août 1905. Rapport de la Mission d’Alger« , conservé dans Annales du Bureau des Longitudes, Gauthier-Villars, Paris, vol. 8, pp. C13-C14 1911.

Joseph et les astronomes d’Alger auraient-ils observé un phénomène qui commence alors seulement à être exploré, une éruption solaire (ceci n’est que l’hypothèse d’une néophyte et explications et commentaires d’astronomes sont les bienvenus)? Pour illustrer cette hypothèse, les deux première photos ci-dessous sont extraites du rapport de 1905, la troisième photo est une « Vue d’une éruption solaire« , prise le 11 February 2010 par la Nasa.

Trépied donne son appréciation sur Joseph – « Henri » – ainsi en 1905:

« Caractère excellent, très intelligent et très actif. Esprit original. On pourrait dire que son exactitude parfaite et son zèle ne lui coûtent que très peu, en raison de ses grandes aptitudes et de son goût passionné pour tout ce qui concerne l’astronomie, la physique et toutes les sciences qui touchent à ses fonctions ».

Appréciation de Joseph Renaux, Observatoire d’Alger, probablement par Charles Trépied, 1905 in Véron, Dictionnaire des Astronomes Français 1850-1950, p. 394.

Joseph – « Henri » – est finalement nommé (après avoir été délégué à ce poste) astronome adjoint le 1er janvier 1906 (Ibid.).

Les années de tension

Changements à l’observatoire d’Alger: l’arrivée d’un directeur vindicatif

Le 10 juin 1907, Charles Trépied meurt subitement d’une angine de poitrine (Véron, « Trépied », Dictionnaire …).

L’Observatoire d’Alger change de directeur

Joseph – « Henri », étant astronome adjoint de l’observatoire d’Alger, lui ayant consacré sa vie depuis 1887, soit pendant vingt ans, pose sa candidature à la direction de l’observatoire (Véron, « Renaux », Ibid).

La carrière scientifique n’est malheureusement pas seulement la science, comprendre et savoir, rechercher et découvrir, mais aussi relations avec ses pairs et sa hiérarchie et acceptation des dogmes en-cours. Cela est encore plus vrai lorsqu’il s’agit de fonctionnariat et de prendre la direction d’une structure d’Etat. Or, Joseph – « Henri » n’a que très peu publié. Etant à Alger depuis vingt ans, ses relations avec les cercles parisiens où la décision sera prise sont probablement très lâches. Si Charles Trépied, de son vivant a une activité également parisienne, puisqu’il prend part, « en qualité de secrétaire, aux travaux des conférences internationales qui se réunirent à l’Observatoire de Paris, dans le but d’étudier les questions relatives à l’établissement d’une Carte du Ciel photographique, » ce qui permet à l’observatoire d’Alger d’être « l’un des établissements qui collaborèrent à cette vaste entreprise » (Véron, « Trépied », Ibid.), il ne semble pas qu’il y ait associé Joseph – « Henri » de façon à permettre à ce dernier de développer un réseau d’influence.

Joseph – « Henri », de plus, compte-tenu de son caractère et de sa focalisation sur son travail, n’a très probablement que peu d’intérêt pour l’aspect carriériste de la promotion scientifique et ne se plie certainement pas à ses contraintes, lui préférant la substance de la recherche.

Ainsi, c’est François Gonnessiat, astronome adjoint depuis 1893 soit la même année que Joseph – « Henri », mais son aîné de 9 ans, issus du monde universitaire et non des grandes écoles, ayant obtenu un doctorat es sciences en 1892, ayant dirigé l’observatoire de Quito pendant 6 ans, de retour à Paris bénéficiant de soutiens qui lui valent d’être nommé chevalier de la Légion d’honneur le 9 mars 1906 et d’obtenir le poste d’astronome adjoint à l’observatoire de Paris le 1er novembre 1907, qui est choisi le 1er décembre 1907 pour prendre la direction de l’observatoire d’Alger (Véron, « Gonnessiat« , Ibid.). Il restera à ce poste jusqu’en 1931.

Un nouveau directeur détestable et hostile

Joseph – « Henri » est probablement fort déçu de ne pas avoir été choisi. Qui plus est, Gonnessiat est un directeur qui, semble-t-il, n’hésitera pas à faire preuve d’animosité et d’agressivité vis à vis de certains membres de son équipe. Les deux hommes ne s’entendent pas du tout.

Par exemple, et de façon totalement contrastée par rapport à l’appréciation portée par Trépied, Gonnessiat juge ainsi Joseph – « Henri » – en 1917:

« Aucune initiative ; on ne peut que renouveler chaque année la même appréciation défavorable sur le travail de ce fonctionnaire qui devrait être l’astronome principal de l’établissement ».

Appréciation de Joseph Renaux, Observatoire d’Alger, par Gonnessiat en 1917 in Véron, Dictionnaire des Astronomes Français 1850-1950, p. 394.

On se demande à cette lecture comment Joseph – « Henri » – aurait bien pu être astronome principal, puisque c’est Gonnessiat justement qui a eu le poste de directeur et très certainement propose les nominations!

Joseph – « Henri » – n’est pas le seul à être en but aux commentaires peu amènes du directeur de l’observatoire. Par exemple, Noel Villatte, bénéficiant en 1905 d’excellents commentaires de Thévenet, fait également les frais, en 1916, alors qu’il venait d’être malade, de la vindicte de Gonnessiat (Véron, « Villatte », Ibid. pp. 465-466). De plus, Gonnessiat harcèle le personnel féminin et, par exemple, n’hésite pas à renvoyer Julie Malbos, qui assure comme suppléante le service Méridien entre 1922 et 1924 parce qu’elle a refusé de se laisse faire (Ibid. p. 313).

D’ailleurs, Gonnessiat a mauvaise réputation et semble avoir été totalement inapte à diriger des astronomes et un grand observatoire tel celui d’Alger, ainsi que le montre la lettre suivante, déclenchée par le renvoi de Malbos:

Le recteur de l’université d’Alger avait écrit au ministre le 8 mars 1924 : « Gonnessiat serre de près ses assistantes ou calculatrices []. C’est un très grand travailleur et un savant, incontestablement. Mais en dehors de ses petites faiblesses pour le jupon, il a surtout le grave défaut de se faire détester de tous ses collaborateurs, sans exception. Voilà un grand observatoire avec 4 postes vacants (astronome adjoint et trois places d’aide astronome) ! ».

Véron, Dictionnaire des Astronomes Français 1850-1950, p. 206

Ainsi, l’histoire familiale rapporte que Joseph – « Henri » -, avec son caractère très affirmé, son refus de se « laisser marcher sur les pieds » et sa propension à se mettre en colère, outré de voir son directeur s’attribuer ses recherches sur un sujet que l’histoire familiale n’a pas retenue, le confronta et menaça de le passer par la fenêtre avec son bureau. Joseph étant très grand et fort, la scène dut fort probablement faire très peur au directeur qui, ensuite, n’hésita pas à se venger (Souvenirs de Michèle). Compte-tenu des trois appréciations précédentes, il est probable que le directeur en question était Gonnessiat.

Les recherches de Joseph – « Henri » – au sein de l’observatoire sont « contrariées »

Qui plus est, à l’époque, avoir un directeur d’observatoire hostile, lorsqu’on est astronome, a aussi d’autres conséquences graves. Joseph – « Henri » et ses collègues, notamment ceux qui déplaisaient à leur directeur, étaient confrontés à un autre défi, qui est révélé à travers les débats sur le statut des astronomes et sur celui des auxiliaires et le travail de chacun au sein des observatoires, qui eurent lieu pendant la première partie du XXème siècle (Arnaud Saint-Martin, « Un spectre hante l’observatoire : le statut paradoxal des auxiliaires« , Carnets de bord, Institut de recherches sociologiques de l’Université de Genève, no 11 | septembre 2006), et plus particulièrement le procès verbal de l’assemblée générale de l’Association Amicale des Personnels Scientifiques des Observatoires (AAPSO) où Joseph – « Henri » intervient (Ibid. p.46 citant PV AG AAPSO 6 mai 1931 pp. 12-13).

En effet, avec le temps, « les observations méridiennes, la réduction et le calcul sont [deviennent] autant de corvées » (Saint-Martin, Ibid). Contraindre des astronomes à n’effectuer qu’elles était conçu comme « de la vexation » (Saint-Martin, Ibid). Il me semble que ce n’est pas ici une question de mépris pour les calculateurs, mais un problème encore plus grave: si un astronome passe tout son temps à de tels calculs qui pourraient être effectués par d’autres, alors il ne peut utiliser ce temps pour d’autres types de recherches. C’est un sous-emploi patent du savoir et des capacités des astronomes, et une perte pour la science, ainsi que, plus prosaïquement, pour l’observatoire se livrant à de telles pratiques, et ce sans parler de la démotivation ainsi provoquée chez les astronomes.

C’est ce que nous dit l’intervention de Joseph – « Henri » et de certains de ses pairs:

Monsieur Renaux «pense qu’un statut [intérieur] aurait été [au cours de sa carrière, qui touche alors à sa fin] une heureuse sauvegarde contre les besognes inférieures ou de manœuvres auxquelles il a été contraint de se livrer»

PV AG AAPSO 6 mai 1931 p. 12 dans Saint-Martin, « Un spectre hante l’observatoire… »

Joseph – « Henri » – « se prononce ainsi contre le ‘régime d’autorité sans contrôle' », sous-entendu du directeur d’observatoire (Ibid), qu’il connait malheureusement si bien pour avoir eu à en pâtir pendant plus de vingt ans. D’autres astronomes « d’habitude plus réservés » dont Henri Mineur, adhèrent à ce que décrit Joseph – « Henri »; Fernand Baldet parle effectivement de « «mesures vexatoires » (idem : 13) [qui] auraient empêché des astronomes de poursuivre des recherches » ((Saint-Martin, Ibid.; liens au Dictionnaire de Véron).

Donc, nous en déduisons que Joseph – « Henri » – a été placé par la direction de l’observatoire d’Alger, pendant sa carrière, dans la position de devoir faire des tâches nécessaires pour l’astronomie, mais qui l’ont également empêché de poursuivre ses recherches d’astronome à l’observatoire de façon optimale.

Pour le meilleur et pour le pire

A ces tensions professionnelles s’ajoutent le deuil familial. Reine Aguillon, la grand-mère de son épouse, figure si importante de la famille, décède le 10 octobre 1912, laissant un grand vide dans la maison.

La guerre ensuite affecte chacun, même si Joseph – « Henri » – est alors trop âgé pour y participer. La grippe espagnole se déclare ensuite, avec son cortège de morts à ajouter à celles de la première guerre mondiale.

C’est alors Aimée, sa belle-mère, maintenant épouse de Léon Thivin, qui décède le 18 septembre 1919, à 66 ans.

De façon plus heureuse, l’année suivante, le 20 juin 1920, Joseph – « Henri » et Renée marient leur fille Suzanne à Antoine Dominique Carli, jeune administrateur des Colonies.

Sauveur Carli, Léon Thivin (Empa)
Joseph – « Henri », Suzanne, Antoine, Renée

Contributions et travail astronomique

Malgré ces temps essentiellement difficiles, avec heureusement des éclaircies familiales, en dépit de l’animosité de Gonnessiat, Joseph – « Henri » se met à publier de façon plus régulière à partir de 1907. Ainsi, il publie, de son vivant, seul ou avec ses collègues astronomes – y compris d’ailleurs parfois Gonnessiat – au moins 71 articles scientifiques, qui sont référencés dans la base de donnée « astrophysics data system » maintenue par Harvard, dont au moins 68 après 1907.

Il travaille notamment sur la position de la nouvellement découverte Pluton, et celles des petites planètes comme Eros, sur les comètes, ou les calculs astronomiques tels le calcul barycentrique, etc. (par exemple, Renaux, Boyer et Reiss, Positions d’ErosJournal des Observateurs, Vol. 17, p.81); Nouvelle contribution à l’étude des clichés photographiques, Journal des Observateurs, Vol. 15, p.128 1932; Méthode nouvelle de perturbations spéciales; Bulletin Astronomique, 1924, vol. 5, pp.327-373; Gonnessiat, Renaux, Filippoff, and Reiss, (1930) Positions de la planète Pluton obtenues à l’Equatorial photographique de l’Observatoire d’Alger. Jour. des Observateurs 13, 165; Boyer, Gonnessiat, Reiss, Renaux, and Filippoff, (1931) Positions de petites planètes et de Pluton obtenues à l’Equatorial photographique de l’Observatoire d’Alger. Jour. des Observateurs 14, 73-81. de Bibliographie, Pluton; etc.).

Le 13 décembre 1926, à soixante ans, Joseph reçoit de l’Académie des Sciences le prix Damoiseau pour l’ensemble de ses travaux (Baillaud, R., Larrieu, C., & Antoniadi, E.-M., « Nouvelles de la Science, Varietes, Bibliographie« , L’Astronomie, vol. 41, p.90).

Par ailleurs, Joseph – « Henri » – travaille également chez lui – ce qui est peu surprenant compte-tenu de l’attitude de son directeur et ce que nous avons établi plus haut quand à la difficulté de faire ses recherches à l’observatoire. Il se passionne pour de nombreux sujets. Sa bibliothèque est vaste. Il adore raconter et expliquer les phénomènes astronomiques autour de lui, dans les échoppes, à tous (Souvenirs de Michèle). Il affirme également son originalité et sa volonté d’expérimenter. Dans une anecdote, sa petite fille Michèle se souvient de lui, marchant avec des bouteilles de verre attachées aux jambes, parce qu’il avait des varices et pensait que l’eau frappée de rayons solaires pouvait avoir des effets bénéfiques et qu’il devait tester cette hypothèse (Ibid.)

Joseph remporte une dernière bataille contre Gonnessiat

Gonnessiat, probablement protégé ou bénéficiant de l’inertie du système, malgré au moins la mise en garde très forte du recteur de l’université d’Alger en 1924, non seulement n’est pas remplacé, mais ne prend pas non plus sa retraite comme il aurait dû le faire en 1927 (Véron, Ibid.).

L’hostilité de Gonnessiat envers Joseph – « Henri » ne semble pas diminuer au fil du temps. Au contraire, elle s’amplifie et est maintenant exposée dans les publications scientifiques.

Par exemple, suite à un article publié par Joseph – « Henri » « Contribution à l’étude de la réduction des clichés photographiques » (Journal des Observateurs, Vol. 13, p.137, September 1930), Gonnessiat interpelle Joseph – « Henri » – sur ses méthodes de calcul, tentant de jeter le doute sur ces dernières dans « Sur la réduction des clichés photographiques » (Journal des Observateurs, Vol. 14, p.97, January 1931), comme montré dans les images ci-dessous. Si le désagrément est chose courante dans le monde scientifique, ici nous sommes plus dans le domaine de l’attaque que du désaccord.

Il est probable que cette attaque imméritée, comme montré ci-dessous, met Joseph – « Henri » – hors de lui. Ce dernier a maintenant soixante six ans et doit être plus que lassé de l’attitude de ce directeur aigri et visiblement pas si capable astronomiquement. Joseph – « Henri » peut maintenant prendre sa retraite, ce qu’il décide de faire le 24 mars 1931 (Véron, Ibid.).

Note: Ici j’essaye de faire sens de la décision de prendre sa retraite prise par Joseph – « Henri » en 1931, suivie de son retour en fonctions en 1932. Il me semble que lorsqu’on regarde cet aller-retour à la lumière de l’attitude de Gonnessiat, et des publications, alors le déroulé chronologique fait sens. C’est ce que j’expose ci-contre. En l’absence cependant de sources directes, nous restons dans le domaine de l’hypothèse, cette dernière étant néanmoins très probable, pour ne pas dire certaine.

Il reste évidemment impliqué en astronomie, y compris comme membre de la Société Astronomique de France et le 6 mai 1931 il sera à Paris pour assister à une séance de la Société (Séance du mercredi 6 mai 1931 – je n’ai pu identifier à quelle date exactement il en est devenu membre).

Comme nous l’avons vu plus haut, il s’implique également afin que le sort des astronomes au sein des observatoires soit mieux protégé, lors de l’Assemblée générale de l’Association Amicale des Personnels Scientifiques des Observatoires qui se tient aussi le 6 mai 1931.

Enfin, en juillet 1931, Gonnessiat prend sa retraite, libérant l’observatoire d’Alger, qui sera maintenant dirigé par Lagrula, lequel en est le sous-directeur depuis le 16 juillet 1924 (Véron, Ibid., p. 262). C’est probablement ce dernier qui demande à Joseph de revenir, puisque ce dernier est à nouveau chargé de ses fonctions du 1er octobre 1932 au 30 septembre 1933 (Véron, Ibid.).

Dans le même temps, Joseph – « Henri » répond scientifiquement aux attaques de Gonnessiat, avec deux articles, « Nouvelle contribution à l’étude des clichés photographiques« , Journal des Observateurs, Vol. 15, p.73, Juillet 1932 et « Nouvelle contribution à l’étude des clichés photographiques (suite)« , Journal des Observateurs, Vol. 16, p.57, January 1933. Dans une note en pied de page de l’article de 1932 (voir images ci-dessous), Joseph souligne une erreur de calcul fondamentale faite par Gonnessiat, un camouflet en termes scientifiques et académiques.

Finalement, Sylvain Arend, en 1933 (voir image ci-dessous) souligne que Monsieur Renaux « tire des déductions remarquables » et fait « des restrictions toutes naturelles quant au domaine d’application » par rapport à la méthode prônée par Gonnessiat. Il semble donc, que, contrairement à ce que Gonnessiat tentait de faire croire, Joseph – « Henri » n’ait pas fait d’erreurs, au contraire (« Remarques sur certaines méthodes récentes de réduction de plaques astrographiques« , Journal des Observateurs, Vol. 16, 1933, p.28).

Ces échanges par articles interposés en disent long sur l’hostilité de Gonnessiat et le refus de Joseph – « Henri » – d’accepter le diktat de son directeur.

On imagine sans peine la tension permanente au sein de l’observatoire, comme souligné par le recteur de l’université d’Alger et déduite des débats de 1931. Ce qui apparait maintenant dans la dispute scientifique au travers des articles est que Gonnessiat semblait également incapable de comprendre les recherches de Joseph – « Henri ». Il n’est donc vraiment pas étonnant que ce dernier ait aussi travaillé chez lui, où il pouvait être tranquille. Il a néanmoins dû vivre 24 ans sous la direction de ce personnage, ce qui n’a pu qu’être négatif pour ses recherches et rendre sa vie fort difficile.

La passion scientifique au delà du temps et des frontières

Après sa retraite, Joseph – « Henri » continuera ses recherches chez lui et sa petite-fille Michèle se souvient de son grand-père, Bon Papa, lui montrant ses livres et lui expliquant de nombreux phénomènes scientifiques en lui transmettant un sentiment d’émerveillement devant l’univers et d’admiration pour les mathématiciens et astronomes (Souvenirs de Michèle Carli). La vidéo ci-dessus, obtenue à partir d’une photo grâce à l’intelligence artificielle, montre à la bonté qui se lit sur le visage de Joseph – « Henri ». Il a pu et su surmonter les épreuves de la vie sans amertume, son visage respirant au contraire épanouissement, humour et gentillesse.

Dix ans après avoir reçu le prix Damoiseau et cinq ans après sa retraite, « son nom fut donné à une petite planète, (1416) Renauxa (un astéroïde de la famille d’Éos, de la région externe de la ceinture principale d’astéroïdes), découverte en 1937 à Alger par Boyer » (Véron, Ibid.).

Lorsque la France, suite à la défaite qu’est la bataille de France, demande l’armistice avec l’Allemagne Nazie, Joseph – « Henri » – remonte l’allée de la propriété en courant, choqué et immensément bouleversé, criant « ils se sont rendus, ils se sont rendus, c’est une catastrophe » (Souvenirs de Michèle). Il verra son petit-fils partir au front et être porté disparu pendant un temps. Mais il ne verra jamais la victoire de 1945.

En 2015, la France, probablement sur la demande du gouvernement algérien regroupera les dépouilles et les tombes des Français enterrés dans ce cimetière (ainsi que dans d’autres cimetières chrétiens) et les transférera au cimetière d’El Biar, cependant sans rechercher et avertir les familles (Cimetière chrétien de Bouzaréah – France Diplomatie; Cimetières chrétiens : Fin de l’opération de regroupement de plus de 13 000 restes mortels, 2018). Pour l’instant (essai de communication durant l’hiver 2020) le consulat à Alger n’a pas jugé bon de nous répondre sur la façon dont nous pourrions honorer nos ancêtres et éventuellement rapatrier leurs dépouilles.

Joseph – « Henri » – s’éteint le 2 mars 1944 à soixante-dix huit ans. Il fut inhumé au Cimetière Chrétien de Bouzaréa, Caveau – Repère 169 de la Famille Roure- Aguillon (Opération de regroupement des cimetières chrétiens dans la wilaya d’Alger, Cimetière Chrétien de Bouzaréah.pdf ).

A la fin de la guerre, deux Américains travaillant pour le gouvernement des Etats-Unis (ou pour une université) allèrent voir Renée, veuve de Joseph – « Henri » – Renaux (Souvenirs de Michèle Carli). Ils lui demandèrent s’ils pouvaient voir et emmener tous les papiers de Joseph – « Henri » (Ibid.). Renée les y autorisa (Ibid.).

Compte-tenu des relations pour le moins tendues entre Joseph – « Henri » et l’Observatoire d’Alger, finalement du peu de cas que l’astronomie française avait fait des travaux de son époux, cette décision fait tout à fait sens: au moins des scientifiques et un Etat reconnaissaient et valorisaient le travail d’Henri. Ainsi, une vie de travail d’astronome et peut-être de recherche dans d’autres sciences, partirent aux Etats-Unis. Quelles furent les impacts de ces travaux? Nous ne le saurons probablement jamais, sauf si les astronomes Américains en ont gardé trace et sont prêts à le partager.

Quelques références bibliographiques

Base de donnée « astrophysics data system » maintenue par Harvard et tous les articles publiés par « J. Renaux »;

Véron, P., Dictionnaire des astronomes français 1850-1950, www.obs-hp.fr/dictionnaire/, Observatoire de Haute-Provence, publié inachevé à titre posthume, 2016.

Saint-Martin, Arnaud, « Un spectre hante l’observatoire : le statut paradoxal des auxiliaires« , Carnets de bord, Institut de recherches sociologiques de l’Université de Genève, no 11 | septembre 2006

Publié par Helene Lavoix

Dr Helene Lavoix, PhD Lond (Relations internationales) est fondatrice et directeur de The Red (Team) Analysis Society. Elle est spécialisée en prospective stratégique et alerte précoce en matière de sécurité nationale et internationale. Elle a enseigné au niveau Master à Singapour et à SciencesPo-PSIA.

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